Dimanche 26 avril
Il fait beau, nous allons dans la bonne direction, c’est dimanche. Voila comment résumer au mieux la situation en quelques mots. Nous avons eu enfin le droit à une nuit complète à la voile, le bateau bien appuyé dans la faible houle en naviguant tribord amure, toujours dans la direction du Maroc.
Puis dans la matinée, le vent a commencé sa bascule et nous avons pu dévié progressivement au fil des heures vers le Sud-Ouest, et les Canaries. Si tout se passe comme prévu, nous serons au mouillage à Lanzarote dès le 28 au soir, pour une arrivée en grande pompe à Las Palmas le 1er mai dans la matinée. Entre les deux, nous devrions aller tirer quelques bords au large de l’archipel.
Le dimanche est une journée un peu plus relâchée à bord de L’Hermione. Les tiers se sont consacrés au ménage des postes, ainsi qu’à des travaux de voilerie ou de matelotage sur le pont, en musique et au soleil. La journée s’est terminée par un coucher de soleil sublime au rythme des morceaux de guitare ou de flûte qui venaient du gaillard avant.
Une bonne partie des volontaires a cependant déserté le pont et a rejoint la batterie en milieu d’après midi pour un comité culturel particulièrement suivi : un cours de météo par le commandant.
Ce dernier prend à cœur la part d’enseignement que comprend l’aventure de L’Hermione. Il en a fait la démonstration, il y a quelques jours, pour une poignée de volontaires qui se sont approchés alors qu’il se trouvait seul à la barre. L’occasion pour nous d’écouter ses conseils, ses commentaires sur la façon de maîtriser un grand voilier à cette allure, ses remarques passionnées sur notre frégate, qu’il continue de qualifier de « meilleur voilier au monde » avec les yeux qui pétillent autant que les nôtres lorsque nous prenons le temps de regarder L’Hermione sous voiles.
Pour ce qui est du travail de barre, nous avons en ce moment l’une des rares occasions du voyage de naviguer au près et il s’agit d’une façon de gouverner totalement différente de la méthode habituelle, au cap. Ici, il devient nécessaire de réellement sentir le bateau, d’anticiper ses mouvements, de regarder les voiles. Plutôt que d’avoir l’oeil rivé sur le compas, il faut observer les mouvements de la grand voile et du grand hunier, attendre qu’ils faseyent pour connaître les limites du bateau. Puis se laisser arriver pour reprendre de la vitesse et lofer à nouveau jusqu’à la limite. La barre permet alors de réellement ressentir le bateau au bout de ses doigts et on arrive petit à petit à sentir ses réactions arriver avec douceur, les moments où l’on se rapproche trop du vent, ceux où il faut mettre de la barre pour reprendre le cap, ceux où on peut commencer à en enlever pour se stabiliser sur une route.
On s’étonne qu’un phare carré soit capable de remonter à 54° du vent, lorsque l’exigence royale de l’époque était un navire capable de remonter à 67°. On s’étonne de ressentir quelque chose dans cette immense barre à roue, démultipliée, reliée à un immense gouvernail à quelques 6 mètres sous nos pieds. Et on comprend alors le commandant lorsqu’il explique qu’avant d’être une machine de guerre, L’Hermione est avant tout un bon voilier.