Mercredi 20 mai.
Et voilà. Nous avons passé le cap des deux semaines de mer aujourd’hui et attaquons notre troisième semaine de transatlantique. Après l’éprouvante mais réjouissante journée d’hier et une nuit difficile, notamment pour les tribordais qui ont eu à affronter une pluie incessante durant leur quart, ce mercredi a été un peu plus calme à bord.
Le ciel était dégagé, la mer s’est calmée dans la matinée et le vent était repassé sous les 20 nœuds.
Il a cependant tourné et nous a imposé une route Nord puis Nord-Ouest que nous devrons tenir encore pour un petit moment, le temps de contourner puis traverser une bulle anticyclonique. Nous naviguons donc au près, bâbord amure (le vent vient de bâbord).
Si nous gîtons un peu, il s’agit d’une allure plutôt confortable à bord de L’Hermione. On sent le bateau travailler avec aisance, bien appuyé sur l’eau, même si les mouvements de roulis sont parfois assez puissants.
Comme vous pouvez vous en douter, la météo est une considération cruciale à bord d’un bateau, surtout d’un voilier et plus encore à phare carré. Et L’Hermione d’aujourd’hui possède avantage de taille sur celle qui a rejoint l’Amérique en 1780 : un système météo avancé. Tous les jours, voir même plusieurs fois par jour lorsque la situation est complexe, le commandant télécharge des cartes météo et des bulletins afin de planifier notre route et d’adapter la voilure en condition.
L’arrivée de fichiers « grib » il y a une quinzaine d’année et les logiciels qui vont avec constituent une source d’informations – et donc une sécurité – considérable pour la navigation hauturière. Actualisés toutes les 6h si besoin, ceux-ci offrent une vision de l’évolution des vents et des précipitations heure par heure et à une échelle très locale. Si, malheureusement, le changement climatique global a quelque peu augmenté la marge d’erreur sur des zones réduites de ces fichiers ces dernières années (ils fonctionnent grâce à des statistiques établies sur 25 ans environ, et ces statistiques ne parviennent pas à prendre en compte l’évolution du climat mondial récente), ils permettent tout de même d’obtenir une vision générale très précise de la situation à grande échelle. A terre, l’association Hermione-La Fayette a fait appel à Jean-Yves Bernot, météorologue spécialiste des courses au large, afin de recevoir régulièrement des conseils sur les routes à emprunter. Vous pourrez trouver des explications détaillées à la fin de cet article.
En clair, ils se trompent peu sur l’évolution des dépressions et des anticyclones ainsi que le déplacement des fronts, mais ce sont eux qui nous annonçaient hier un vent maximal de 25 nœuds lorsque nous avons constaté 45 nœuds. On aperçoit cependant sur le baromètre le moment où nous sommes passés dans le plus gros du front hier (la descente brusque sur la gauche du rouleau). Comme quoi, parfois les instruments les plus anciens restent les plus efficaces…
En clair, ils se trompent peu sur l’évolution des dépressions et des anticyclones ainsi que le déplacement des fronts, mais ce sont eux qui nous annonçaient hier un vent maximal de 25 nœuds lorsque nous avons constaté 45 nœuds. On aperçoit cependant sur le baromètre le moment où nous sommes passés dans le plus gros du front hier (la descente brusque sur la gauche du rouleau). Comme quoi, parfois les instruments les plus anciens restent les plus efficaces…
Les explications du routeur météo de L’Hermione
Canaries – Yorktown
Traverser l’Atlantique entre Les Canaries et la côte nord US en mai-juin consiste à faire le tour de l’anticyclone subtropical, celui que l’on appelle plus communément anticyclone des Açores (et que l’on aimerait bien voir s’intéresser un peu à nos régions)…
L’affaire commence bien : après les Canaries, un petit écart vers le sud permet de crocher dans l’alizé.
Belle navigation par bon vent, mer vivante et quelques grains pour éviter de s’ennuyer. La frégate gagne rapidement vers l’ouest poussé par 15-20 nœuds de vent de nord-est. Les matelots longs courriers ne s’y trompaient pas : les trois plus belles choses au monde, cadeaux pour capitaine : « un cheval marchant l’amble, une frégate dans l’alizé et une mulâtresse en amour… ».
Vers 40 W, un peu avant la mi-route, on réfléchit : il va falloir maintenant aller vers Yorktown.
Deux options :
– Option 1. La situation réelle est proche de la situation moyenne : on prend la Route sud. Route vers l’ouest dans les alizés et on ne remontera vers la côte Américaine que vers 65 W.
Avantages : on fait une majorité de la route au portant dans l’alizé.
Inconvénients : la route est longue et il faudra être chanceux pour passer du régime d’alizé au régime tempéré qui prévaut vers la côte nord-américaine.
– Option 2 : la situation réelle est différente de la situation moyenne. On prend une route plus directe. Ce sera le cas si l’alizé est perturbé par des dépressions qui traînent au milieu de l’Atlantique. Dans ce cas, on préfèrera utiliser les systèmes liés aux dépressions plutôt que de compter sur un alizé poussif.
Avantages : on raccourcit la route et on peut espérer garder du vent au voisinage des systèmes dépressionnaires.
Inconvénient : le vent sera plus variable en force et direction, éventuellement fort.
Voilà pour la théorie. Et la pratique ? La carte suivante provenant du service météorologique américain (NOAA) décrit la situation :
L’anticyclone ne sévit que dans l’est de l’Atlantique et une dépression occupe l’ouest de l’Atlantique et détruit l’alizé. C’est l’option 2 : manœuvres, vent variable, éventuellement soutenu au voisinage des dépressions et de leur front froid. A eux le soin…
JY Bernot