Lundi 3 novembre
Nous avons quitté ce matin la Penfeld pour aller jeter l’ancre de l’autre côté de la rade de Brest. Les vents, les courants et la houle d’Ouest, rendent en effet trop risquée notre sortie de la rade ce lundi et, nous avons préféré jouer la sécurité.
L’équipage s’est donc occupé comme il a pu tandis que les températures apparaissaient, pour la première fois, de saison en ce début novembre. En clair, il faisait froid !
La Sainte-Barbe a donc été prise d’assaut par les gabiers qui ont passé le temps en alternant lecture et couture. D’autres ont préféré se livrer à des exercices de matelotage, le tout dans une ambiance toujours rythmée par les instruments des musiciens embarqués sur L’Hermione. Petit à petit, la fin approche. Les chefs de tiers commencent leurs briefings sur le calage-bas des mâts et commencent à installer les poulies qui nous aideront à la manœuvre lorsque nous aurons rejoint notre mouillage à l’île d’Aix.
Notre vidéo du jour est consacrée au travail de barre. Même si les voiles dirigent véritablement le navire, le gouvernail joue évidemment un rôle essentiel dans la tenue de cap. Toutes les heures, de jour comme de nuit, les barreurs se relaient pour guider la frégate.
Ils sont généralement 2 (et jusqu’à 4) à tenir la barre. Au bout d’une heure, le barreur 2 devient barreur 1, le barreur 1 part à l’avant du bateau pour la veille, le veilleur devient rondier et le rondier devient barreur 2. Chacun passe donc deux heures l’œil rivé sur le compas, sous le soleil comme sous la pluie. Le travail est parfois stressant (le Toulinguet, le Raz de Sein ou l’entrée au port sont de bons exemples) mais aussi parfois monotone (car L’Hermione tient très bien son cap à certaines allures, où il peut se dérouler plusieurs minutes sans toucher à l’angle de barre). Mais comme beaucoup de gestes à bord, cela permet de se glisser dans la peau d’un marin du 18e siècle avec la certitude que les choses se déroulaient de façon similaire à l’époque. Voilà aussi l’un des grands plaisirs de la navigation sur L’Hermione.
Mardi 4 novembre
Nous avons appareillé très tôt ce mardi. A 6h30 du matin, le tiers milieu relevait l’ancre et nous prenions la direction du goulet pour quitter la rade, pour ce qui sera notre dernière navigation avant l’hivernage.
Si la météo n’était pas des plus favorables au lever du jour, nous avons tout de même eu ensuite le droit à quelques rayons de soleil, tandis que nous filions vers le sud. Puis la houle est arrivée et n’a eu de cesse de grossir tout au long de la journée. De nouveau, quelques uns des gabiers ont souffert du mal de mer. Mais une grosse partie de l’équipage a surtout profité du spectacle splendide qui nous était offert. Sur cette mer formée et, poussée par le vent, la frégate filait à plus de 9 noeuds dans un décor bercé par une lumière changeant en permanence. Un régal pour les sens et les yeux ; et une belle manière de profiter peut-être pour la dernière fois en 2014, des performances exceptionnelles de L’Hermione.
La vie quotidienne avec des creux de 4 à 6 mètres est toujours aussi cocasse et complexe. Mouvements, remplissage des tasses, sauce des plats et installation dans sa bannette pour dormir (avec une pointe de jalousie évidente envers ceux qui dorment en hamac et ne jouent pas la boule de flipper entre les rebords de leur lit toute la nuit), tout est un motif de prudence et de rires. On finit par oublier ces mouvements, que seul le fracas d’une tasse oubliée sur une table vient nous rappeler lors des coups de gîte plus marqués. Nos mains nous retiennent de façon presque instinctive, on connait les endroits à risques, la limite de débordement de sa tasse de café et où poser ses pieds lorsqu’on s’installe sur le gaillard d’avant. Ces gestes réflexes, comme celui de se baisser dans le faux pont, où se trouvent les tiers et la Sainte-Barbe, font désormais partie de notre quotidien. Pourtant, ce soir, ce sera notre dernière véritable nuit de navigation. Et ce quotidien deviendra des souvenirs, en espérant venir vérifier que nos réflexes acquis sont toujours présents cet hiver sur le chantier, puis l’année prochaine, en route pour les Etats-Unis.
Notre vidéo du jour présente le travail du rondier, ce qui reste un excellent moyen de faire un tour de l’ensemble du bateau. La visite démarre donc dans la voilerie, qui est la pièce la plus à l’avant dans la cale. On part ensuite vers l’arrière pour traverser la salle des machines, l’atelier du Chef mécanicien, la cuisine, la cambuse et pour remonter vers la Sainte-Barbe en passant à côté des moteurs. Située sur le faux-pont tout à l’arrière, la Sainte-Barbe abrite les cabines du docteur et du maître voilier, le timon et la bibliothèque du bord. On repart ensuite vers l’avant en longeant les cabines du superintendant, du bosco et des deux lieutenants qui entourent l’escalier donnant accès à la batterie. Ici, on trouve l’accès vers les tiers bâbord et tribord, séparés par un bloc sanitaire. En passant par bâbord, on accède ensuite à milieu, le troisième tiers du bateau. La sortie de milieu donne accès à une descente vers la cale et aux magasins bosco et charpente, situés de chaque côté du mât de misaine. On fait ensuite demi-tour pour repartir vers tribord en passant par le poste équipage, qui abrite la cabine du maître charpentier et les bannettes de nos deux cuisiniers, du messman, des adjoints des trois tiers et des surnuméraires (journalistes ou professionnels non navigants embarqués sur L’Hermione). Une porte donne ensuite accès au tiers tribord qui nous ramène à l’escalier d’accès à la batterie. Le pont de batterie contient pour sa part la grande chambre (le carré des officiers), la batterie où on se restaure, la grand rue, l’atelier du maître charpentier et le système de contrôle de l’ancre. La visite se termine par un tour dans la grande chambre, où le rondier note sa ronde sur un cahier dédié. Il prévient ensuite l’officier de quart (une dernière étape qui n’est pas obligatoire lorsque le bateau se trouve à quai).
Mercredi 5 novembre
La nuit a été dure dans une houle formée, mais qu’importe. Ce soir, l’île d’Aix.
Une matinée de soleil, de mer verte. Toutes les voiles carrées établies pour quelques heures et, encore, filer à plus de 7 nœuds sur un navire du 18e siècle. Puis descente sur le pont de la première vergue, celle de perruche. Et rangement de la voile d’étai de grand hunier ainsi que du contre-foc. On tourne le dos aux lumières de la côte pour ne pas voir la fin approcher.
Nous arriverons dans la soirée au mouillage, puis nous attaquerons le calage bas des mâts et le démontage de tout le gréement afin de préparer la frégate pour les nombreux travaux d’hiver qui l’attendent.
Notre vidéo du jour vous montre le réveil du tiers milieu, ce mercredi matin à 3h30. Chaque personne a sa méthode, mais le rondier qui en a la charge essaye, généralement, de le faire dans la douceur et la bonne humeur. Humour, enthousiasme, musique… Lorsqu’on doit ouvrir les yeux au milieu de la nuit après quelques courtes heures de sommeil, toutes les attentions sont appréciées par le quart qui se lève. Un petit déjeuner rapide plus tard, le traditionnel « bon quart à vous » est souhaité par le tiers qui passe le relais, en l’occurrence ici, tribord.