Vendredi 31 juillet 2015 :
Les dernières 48 heures resteront probablement gravées dans nos mémoires pour le restant de notre vie.
Mercredi 29, vers 22h30, l’avis tombe. La dépression que nous souhaitons accrocher vient de changer de classification. Après avoir aspiré deux autres dépressions, elle s’est transformée en ouragan. Sur le pont, c’est le branle-bas de combat.
On monte prendre un ris dans la Misaine, puis serrer la grand voile. D’autres équipes préparent des rabans supplémentaires afin de sur-rabanter toutes les voiles. On abaisse la corne d’artimon et on la haubane avec des sangles. On installe des lignes de vie sur la dunette. On assure tout ce qui peut se balader, des supports des canots aux tabourets. Puis on tente autant que possible de grappiller quelques heures de sommeil. Mais finalement, un nouveau bulletin météo en milieu de nuit change de ton : après avoir déversé sa furie sur Terre-Neuve, l’ouragan est redevenue une dépression classique.
En lieu et place d’une furie avec des vents à plus de 70 nœuds, nous avons donc eu le droit à un jeudi au soleil à observer, incrédules, des libellules sur le pont et des poissons volants à la latitude des bancs de Terre-Neuve… Après la nuit que nous venions de passer, ces heures de repos au soleil étaient les bienvenues.
Car notre programme n’avait pas changé pour autant : nous devions suivre la dépression sur son flanc Sud afin d’accrocher les vents portant qu’elle produirait. Dans la soirée d’hier, la bascule s’est amorcée, le baromètre a débuté sa descente et les vents ont donc commencé à fraîchir progressivement. A 7h ce matin, nous étions enfin dans le cœur du sujet.
Difficile de décrire une journée comme celle que nous venons de passer. Difficile également de la rendre à l’image. Quoi qu’on fasse, les objectifs affaissent les montagnes d’eau qui ont défilé sous notre quille et les mots n’ont pas la force d’une rafale de vent à 45 nœuds. Les regards ont été nombreux à se perdre dans cette majestueuse houle atteignant 7 mètres établis au plus fort.
Si on se sent petit lorsqu’on traverse un océan, on se sent franchement minuscule face ces vagues aussi belles, attirantes et dangereuses que les sirènes de l’Odyssée. Lorsqu’on les voit déferler au dessus des passavants, que le sillage de L’Hermione semble onduler devant nos yeux sur les chemins escarpés d’une colline en mouvement perpétuel, que l’on se retrouve presque couché sur le pont afin de compenser le roulis, que l’on voit la pointe des canons effleurer la surface de l’eau, que le pont tremble sous nos pieds lorsque la frégate accélère en surfant sur les vagues, on se sent plus vivant que jamais.
D’autant que L’Hermione a été conçue pour ces conditions : 35 nœuds établis de grand largue et une houle arrière sont un terrain de jeu idéal pour le trois-mâts. Les barreurs se sont relayés à quatre pour des quarts épuisants car la moindre erreur pouvait entrainer une sanction immédiate. Mais les volontaires n’ont pas failli et nous avons battu tous les records : vitesse maximale de 13,3 nœuds atteinte 2 fois dans la journée (notre précédent record était 12,7 nœuds lors des essais en mer 2014) et près de 11 nœuds de moyenne avec 130 miles parcourus en 12h. Entre minuit jeudi et minuit vendredi, nous avions même enfin dépassé les 240 miles nautiques en 24h, soit 10 nœuds de moyenne !
Dans la nuit de vendredi à samedi, nous continuions à filer au dessus de 10 nœuds presque en permanence, dans une houle toujours aussi grosse et rentrant toujours aussi régulièrement par les sabords. Le plus gros de la dépression nous a désormais dépassé mais nous devrions continuer à profiter de vents mollissant mais favorables durant encore une journée au moins. Puis nous nous trouverons sur la route d’une dépression secondaire qui devrait nous permettre de conserver le lion de L’Hermione pointé en direction de Brest.
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