Journal d’un gabier – Du 19 au 23 juillet, Lucille vous raconte sa navigation à bord de L’Hermione.
Le 19 juillet 2016. C’est le grand départ : l’Hermione quitte Brest pour sa dernière navigation avant 2018. Nous laissons derrière nous les fêtes maritimes internationales avec une excitation palpable, le bord bouillonnant d’énergie. Tels des fourmis, les gabiers s’activent à la préparation de la belle frégate pour la grande parade jusqu’à Douarnenez dont elle est l’invitée d’honneur. Nous établissons quelques voiles puis canonnons à tout-va, rechargeant et tirant sans cesse sur les bateaux voisins pour le plus grand plaisir des spectateurs et de tout l’équipage, commandant, lieutenant et maître canonniers les premiers.
Nous mouillons en début d’après-midi dans le port de pêche de Douarnenez (« Douarn' » pour les intimes). Des gradins ont été installés sur le quai, et de nombreux curieux observent notre arrivée. Le Shtandart et l’Étoile du Roy nous talonnent, et nous ne manquons pas l’occasion rêvée de les saluer au canon, salut rendu par la frégate russe.
Après une sieste express, nous appareillons. Il est dix-huit heures, les gabiers envahissent la mâture pour serrer les voiles. L’Hermione croise l’Europa, un trois-mâts barque de 1911. Tous ces bateaux rencontrés sont autant de belles histoires à partager, une porte sur tous les pays du monde. Brest nous manquera, mais nous ne sommes pas mécontents de regagner enfin le large et de retrouver l’intimité de notre frégate…
Les officiers de la navigation 2016
De gauche à droite : Kenan Jaouen – lieutenant canonnier, Antoine Faure – second capitaine, Marion Garnier – lieutenant navigation, Yann Cariou – commandant, Philippe Malesherbes, chef mécanicien.
Le 20 juillet 2016. Les tribordais prennent le quart de nuit (minuit – quatre heures du matin) dans une brume épaisse. Nous établissons presque toutes les voiles et gagnons en vitesse. Au clair de lune, nous apercevons des dauphins jouant dans nos vagues d’étrave ! Après un petit-déjeuner nocturne, nous retrouvons enfin la chaleur de nos bannettes et le doux roulis de nos hamacs. Le quart de jour (midi – seize heures) est assez calme et notre bosco, Jens, nous donne un cours au banc de quart pour nous expliquer la manœuvre du lendemain : nous dégréerons les voiles et calerons-bas les mâts de perroquet. Notre petit cocon flottant ne sera bientôt plus un monde clos… Sur le gaillard d’avant au coucher du soleil retentissent les échos tantôt rieurs, tantôt graves d’un saxophone. Notre mélancolie s’estompe un peu.
Le 21 juillet 2016. Cette nuit, je suis à la barre, puis à la ronde et à la veille. À chaque quart, quatre gabiers se relayent à ces postes-clé, qui apportent avec eux leur lot d’émotions : la fierté de barrer l’Hermione succède à l’excitation de la veille sur le beaupré. Perché sur les violons, entre le mât de beaupré et le bout-dehors, le veilleur est comme coupé du monde. Il fait face à l’immensité de l’océan, le survole. Cette transe, cette liberté embrassée est parfois entrecoupée de retours à la réalité lorsqu’il signale un point lumineux au loin ou une bouée de pêche.
A neuf heures trente, les manœuvres commencent : les voiles sont dérabantées, pliées puis rangées dans le pont de batterie. C’est au tour des bouts d’être retirés, lovés puis stockés. Nous commençons à caler-bas les mâts les plus hauts, qui nous empêcheraient de passer le pont de Martrou et le pont transbordeur de Rochefort. Ce soir, quand nous levons les yeux, nous avons la gorge nouée : l’Hermione est plus nue qu’un arbre en plein cœur de l’hiver… Au coucher du soleil les échos tantôt rieurs, tantôt graves d’un saxophone retentissent sur gaillard d’avant et nous redonnent du baume au cœur.
Le 22 juillet 2016. Grand ménage de printemps. Chaque pont, chaque mur, chaque recoin du bateau est balayé, nettoyé, briqué, astiqué, lavé, brossé, rangé. Nous redonnons un peu plus d’éclat à la frégate rochefortaise avant son retour à la « maison ». Lorsque les mâts sont enfin tous calés-bas, l’équipage profite de son dernier jour à bord de l’Hermione. Demain, nous rentrons à Rochefort.
Le 23 juillet 2016. Jour du retour, tout l’équipage est sur le pont pour les manœuvres. Nous virons l’ancre au cabestan et nous sommes parés à remonter la Charente. Un dernier coup d’œil au Fort Boyard et nous voici engagés dans les eaux douces du fleuve. Derniers coups de canon, dernières manœuvres. Quelques gabiers se perchent au sommet des plateaux de hune encombrés par les haubans des mâts de perroquet, et saluent la foule. Nombreux sont les curieux venus fêter le retour de l’Hermione dans son port d’attache. La musique, les éclats de rires et les applaudissements résonnent jusqu’au cœur du navire.
Les toulines volent vers le quai, les aussières sont installées, et les coupées mises en place. Ça y est, nous sommes à quai… Nous entonnons nos dernières chansons de marin et les premiers débarquants se faufilent hors de notre petit cocon de bois pour retrouver la terre ferme. Un câlin collectif s’impose. L’atmosphère est aigre-douce. Oui, c’est vraiment la fin… pour cette fois !